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  • Writer's pictureSylvain Lupari

Christian Fiesel Suspended Life (2023) (FR)

Un album créatif et audacieux où Christian Fiesel embrase les limites de notre imagination

1 Behind the Wall 8:01

2 Layer of Fear 4:46

3 Running into the Void 4:23

4 Suspended Life 24:52

5 Nothing Left to Say, No Regrets, Just a Quiet Place 2:40

6 Church at the Abyss of Midnight 11:02

7 Spiritual Brothers Won't Bother 9:04

8 Fruits 3:54

9 So Many New Faces from the Old World 8:34

(DDL/CD-(r) 77:21)

(Experimental Dark Ambient)

La vie en suspension! Le repos ou le temps qui se suspend alors que notre esprit erre à l'intérieur de nos tourments? C'est la question qu'il faut se poser après avoir écouté ce SUSPENDED LIFE que Christian Fiesel a déposé dans les voutes de Cyclical Dreams. C'est déjà un 5ième album pour le musicien-synthésiste Allemand sur le label Argentin. Et à chaque fois, il a ce don de nous amener vers de nouveaux territoires où la musique et ses ambiances flirtent avec les diapasons de l'inconnu. Je l'écris d'emblée, nous sommes loin de la poésie méphistophélique de son excellent Sphere. Sa signature de Prince des ambiances ténébreuses est toujours de mise. Mais quoi de plus inconnu peut-il y avoir que cet état de vie en suspension? Surtout que les perceptions suivent les contextes de ce que Christian Fiesel veut bien en faire. SUSPENDED LIFE est un album à la limite d'une musique expérimentale ténébreuse entredéchirée par des lames de synthé aux couleurs violacées. Les ambiances ont toujours cette teinte de désespoir crié par un habile maillage du synthé, du mellotron et de la guitare électrique. Les rythmes sont forgés dans des dimensions insoupçonnées avec une essence de Berlin School dans des enveloppes sonores qui défient notre connaissance du genre. Du bonbon mes amis! Donc, il y a des moments brillants dans ce SUSPENDED LIFE, comme il y a des phases où certaines oreilles peuvent saigner. Mais généralement, ce nouvel album de Christian Fiesel s'écoute bien si on aime une musique qui est en connexion avec les dimensions de son titre.

Le son d'un clairon dormant et ronflant ouvre Behind the Wall. Le synthé y multiplie ces ondes qui ondulent entre des tonalités bourdonnantes et d'autres plus apaisantes. Des arpèges limpides trébuchent sur cette lente procession vaporeuse qui se dirige vers une sorte de pinacle d'intensité avec un crescendo d'ondes ronflantes qui s'agglutinent dans leurs contradictions tonales en mi-parcours. Des accords gras se mettent alors à résonner sur un lit de brume anesthésiante un peu avant la 5ième minute. C'est le signal pour introduire le rythme dans Behind the Wall. Et comme les textures de SUSPENDED LIFE, sa tonalité est des plus farouches. Il bat comme les ventouses d'une pieuvre affamée. La basse qui le soutient contrebalance l'aspect organique pour une structure plus conforme aux rythmes électroniques. Le synthé tisse des oscillations qui sont en symbiose avec les pulsations des ventouses tout en créant des orchestrations brumeuses et en faisant rouler des boucles qui ont des allures d'ululements de spectres. Après une ouverture où le métal semble chanter, sinon faire des hisss à répétition, Layer of Fear prend un peu plus vie avec un lit d'oscillations qui montent et descendent dans une belle structure de rythme ambiant. Le mellotron emprunte un timbre de flûte qu'il fait chanter à profusion sur cette texture de rythme mue par les oscillations sérielles avant que la musique ne rejoigne les hisss des serpents métalliques de son introduction. Lorsque je cours dans mes rêves, j'ai toujours l'impression de courir au ralenti. D'avoir les jambes lourdes comme du plomb et de courir dans le vide avec une nuée de spectres à mes trousses. C'est exactement ce décor que je découvre dans Running into the Void. Le rythme ambiant, je pourrais même écrire stationnaire, repose sur des battements caoutchouteux auxquelles Fiesel a attaché une tonalité flûtée. Une tonalité plus majestueuse de la flûte du mellotron inspire un chant voilé qui ondule entre les bruissements d'une chorale d'anges impies. Oui, comme mes rêves!

La longue pièce-titre est tout un défi pour les oreilles. Elle dépeint à merveille cette phase de sentiments déchirés et d'associations entre les sons et leurs portées imaginées qui virevoltent dans un univers de paradoxes concernant les limites d'une vie en suspension. Une nappe musicale fait ondoyer ses harmonies ascensionnelles dont les tonalités graves comme acuités tracent une étrange procession vers les abysses du subconscient. La faune sonore peut paraître hostile avec ces accords graves qui éclatent d'un noir cendré et ces lamentations écarlates qui hurlent dans les graffitis poussiéreux de ces même accords. C'est sans compter une flore organique et une autre plus électronique avec ces gouttelettes qui fuient les compte-gouttes du temps dans une ouverture riche de tonalités qui sont à la dimension des visions du musicien-synthésiste de Trittau. Nous sommes aux frontières d'un cauchemar sonore lorsqu'un mouvement du séquenceur établit une course à travers les obstacles imaginés dans ce qui pourrait être notre état dans notre vie en suspension. Le rythme est carrément délicieux avec sa tonalité organique, on dirait un crapaud qui éructe, et ces accords de clavier insolites qui courent avec le mouvement, un peu comme un reflet argenté dans un miroir sans tain. Il roule, peut-être qu'il boitille, à bonne vitesse sur les élytres à la qualité douteuse d'un mellotron, de tritures de guitare et de sa chorale chtonienne. Nous sommes dans l'imaginaire, dans les frontières conceptuelles d'un musicien qui aime nous en mettre plein les oreilles sur les 25 minutes de Suspended Life. Une grosse radiation sonore suspend la course du rythme vers la 7ième minute, irradiant un gros nuage de réverbérations bourdonnantes. C'est le cataclysme! Une phase tintamarresque remplie de doutes sonores d'où s'extirpe un mouvement de rythme aussi diabolique qu'une vague mélodie sur le thème de l'Halloween. La ligne de basse avance comme des pas-de-loup, les effets de hisss et les harmonies patibulaires du synthé tissent un sordide environnement. Mais ces éléments sont moins disparates, et peut-être même plus musicaux, que cette phase psychédélique qui froisse nos oreilles après la 12ième minute. De fil en aiguille, Christian Fiesel nous traîne d'un tintamarre à un autre avec une phase sonore nouée de saccades et de coups de percussions, comme des effets de mitraillettes cadencées, où pétillent et éclatent différentes sources de sons. C'est de l'anarchie. La révolte des mélodies sur un rythme motorik hyper saccadé qui nous amènera vers une finale légèrement plus musicale.

Nothing Left to Say, No Regrets, Just a Quiet Place est un cours intermède avec une guitare acoustique qui fait résonner sa sérénade dans une ambiance qui flirte avec les ténèbres. J'ai bien aimé, comme j'ai aimé ces effets de frottements de mains sur le manche de la guitare. J'ai l'impression que la musique est jouée juste pour moi, tant l'effet de promiscuité est tangible. Church at the Abyss of Midnight nous ramène au genre ambient ténébreux qui a fait la réputation de Christian Fiesel. On écoute la musique et ses ambiances glissées jusque dans les abysses. Des claquements métalliques d'une dactylo futuriste et des battements lourds qui résonnent sont à l'origine de Spiritual Brothers Won't Bother. Cette étonnante structure alambiquée est minimaliste et survivra aux 9 minutes du titre. Elle est donc le support à ce que Fiesel couche ses fantaisies. Et ça commence par une fascinante texture de mélodie orientale qui scintille sur les premiers moments de cette lourde rythmique qui semble avancer légèrement plus vite, comme un monstre avec des ciseaux géants voulant découper notre chaire. Des nappes d'orgue et des voix chtoniennes remplacent cette mélodie d'Asie. Des cliquetis, des sons qui s'étiolent et des nappes sombres gorgées de fredonnements lucifériens sont d'autres éléments qui complètent un décor aussi sordide que très original. Fruits est le titre le plus électronique mélodieux de l'univers de SUSPENDED LIFE. La structure propose un de ces rythmes des années analogues, pensez à Richard Pinhas dans East/West et L'Ethique, avec des bonds qui sautillent dans une séduisante harmonie rythmique pour finir par atteindre un débit syncopé. Les larmes de la guitare électrique dessinent des arrangements cabalistiques tout de même légers qui s'harmonisent avec un titre fait pour jouir de la vie. Du moment présent. C'est très bon! Ça m'a littéralement donné le goût de redécouvrir ces 2 albums de Pinhas (ce que j'ai fait). So Many New Faces from the Old World termine ce voyage dans le pays de l'inconscience avec une ambiance mystérieuse. La musique est propulsée par de lents élans sombres, comme des brises creuses matérialisées, avec des ululements de revenants. Un bruit de clochettes tintent avec la stridence d'un être de métal qui hurle en train de fondre et cette tonalité acuité semble être un maillage d'un synthé avec une guitare électrique. Un maillage qui déjoue nos oreilles sur une bonne partie de SUSPENDED LIFE. Un album créatif, audacieux et tonitruant par instants où Christian Fiesel embrase les limites de notre imagination.

Sylvain Lupari (03/11/23) *****

Disponible au Cyclical Dreams Bandcamp

(NB: Les textes en bleu sont des liens sur lesquels vous pouvez cliquer)

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