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Writer's pictureSylvain Lupari

BERND KISTENMACHER: Utopia (2013) (FR)

“L'équilibre entre chaos et harmonies, colère et douceur, rock et classique, fait d'Utopia l'album le plus fort de 2013, tous styles confondus”

1 We Need a New Utopia 24:45 2 Fearless 11:05 3 Born from Chaos 10:55 4 Land of Hope 6:42 5 Utopia 8:39 Groove NL | GR-202

(CD 62:02) (Classical, progressive and symphonic EM)

OK! Là on passe carrément à un autre niveau de créativité. Je ne sais pas ce que Bernd Kistenmacher a mangé depuis son retour en 2009 (Celestial Movements) mais c'est clair que l'inspiration, qui égal son talent, lui sort par les oreilles. Sa dernière trouvaille est un brillant album qui recoupe la fureur de Let it Out, les phases ambiosphériques de ses années vintages ainsi que les approches philarmoniques brillamment concoctées depuis justement ce retour. Il en résulte en un album fascinant, extrêmement puissant où le chaos et l'harmonie se divisent les 62 minutes avec une intensité hors du commun.

Un lointain bourdonnement élève We Need a New Utopia jusqu'à nos oreilles. Cette intro, qui s'apparente à un orchestre en train d'accorder ses violons, instaure les bases d'une enveloppante intensité sonique où rugissent les rages du violon et de la guitare. On perçoit l'ossature d'un rythme un peu avant la 4ième minute lorsque qu'une ligne de basses séquences fait pulser ses ions qui sautillent tout bonnement dans un pattern minimaliste. Ces ions ondulent en montant et descendant une ligne invisible sous les pleurs d'un violon et les larmes d'un piano qui unissent leurs détresses dans l'embryon d'un rythme qui s'agrippe aux élytres d'acier des sobres cymbales afin de conserver sa funèbre prestance. Il y a beaucoup d'ambiances autour de cette intro. C'est comme voir un film de suspense où l'on devine un dénouement prochain. Mais le rythme continue plutôt de clopiner. Il monte et descend sur sa marge absente alors que tranquillement une autre figure rythmique l'enveloppe d'un sombre rythme ondulant. Et on plonge. On plonge dans ces parfums des vieux hymnes analogues de la Berlin School où Bernd Kistenmacher et Burghard Rausch (Agitation Free) à la batterie embrassent les morphiques structures de Body Love de Klaus Schulze et Harald Grosskopf. Le rythme est magnétisant et tous les éléments soniques qui l'entourent créent un délicieux mur de musique qui fond dans nos oreilles. On entend la guitare de Thorsten Quaeschning mordre discrètement l'oreille alors que le violon de Thomthom Geigenschrey, très violent, en déchire les tympans avec des solos acuités. Le rythme est lent, quasiment ambiant. Le synthé y accroche de longs soupirs torsadés, qui me rappellent inlassablement les vieilles structures de notre ami Bernd. Ces soupirs, ainsi que de denses brumes de Mellotron, se fondent dans un décor sonique hallucinant dont l'habile maillage des instruments gronde sur une structure qui ondule toujours de son rythme flottant. La guitare rejoint la hargne du violon avec des riffs sauvages et des solos torsadés alors que Bernd enveloppe cette turbulence sonique d'une fascinante sérénité. Et We Need a New Utopia de continuer sur cet étonnante air d'aller où la noirceur et la luminosité, la hargne et la sérénité cohabitent et se disputent dans une attirante symphonie aussi céleste qu'utopique. Un peu comme si le soleil continuerait de briller au-dessus des denses nuages d'une apocalypse nucléaire. Intense et merveilleux! C'est le meilleur titre du genre Berlin School à avoir atterri dans mes oreilles cette année.

Fearless nous amène dans de sombres phases ambiosphériques avec une texture musicale hyper-relaxante, même avec ces cristaux qui crient dans les résonances des gongs astraux tout au long de ses sublimations célestes. Born from Chaos poursuit cette phase de turbulences contemplatives avec une sombre intro qui amasse les soupirs égarés de Fearless tout en se souvenant de ces déchirantes ambiances apocalyptiques de We Need a New Utopia. La batterie vient bousculer l'ordre des choses avec des roulements tempétueux qui servent de canevas à un furieux rythme statique continuellement mordillé, déchiqueté et trituré par des ambiances de démences où la cacophonie sonique de We Need a New Utopia est multipliée par trois. Ouf mettons que ça rince le creux de l'oreille! Les riffs de Thorsten Quaeschning mordent le néant, j'entends du Hendrix, et déboulent en rafale. On pense à une extension de Born from Chaos, mais non. Un doux piano très nostalgique étend la poésie philharmonique de Land of Hope. C'est beau. C'est très beau. Ce l'est autant que On the Shoulders of ATLAS et Eternal Lights. Sauf que le piano pensif accepte volontiers les sobres percussions et les tendres arrangements, moulant une délicate structure de lente chevauchée rythmique qui galope avec mélancolie sur les plaines de l'espoir. Comme je le disais c'est très beau. Et ce synthé qui souffle ces chants de verre et ces arrangements qui brodent une toile de désespoir est absolument saisissante. Je ne sais pas ce qui se passe mais dernièrement la MÉ prête ses étranges harmonies à des voix féminines. Si les résultats sont parfois tièdes, il y a parfois une belle complicité. Je sais, vous allez dire que c'est Bernd Kistenmacher et que je suis déjà gagné d'avance. Ce n'est pas tout à fait vrai, car la première écoute m'a laissé un peu tiède. Faut dire que la voix de Vana Verouti, c'est elle la voix dans Heaven and Hell de Vangelis, est tout, sauf usuelle. Elle possède un étrange timbre nasillard qui, seconde après seconde, fait son effet et s'immisce à merveille avec l'approche très symphonique de la chanson titre. Utopia possède un rythme lent. C'est une belle ballade à la française avec un tempo-ballade un peu plus lent que Land of Hope, mais avec les mêmes dissensions entre le drame et la romance et où la voix de Vana Verouti est tout sauf banale. C'est très beau. C'est à la grandeur de UTOPIA dont la balance entre le chaos et les harmonies, la colère et la douceur, le rock et le classique en fout le plus solide album de 2013, tous genres confondus. Et en passant, ne cherchez plus Vangelis. Il se cache dans les studios de Bernd Kistenmacher.

Sylvain Lupari (15/12/13) *****

Disponible au Groove NL

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