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Writer's pictureSylvain Lupari

Detlef Keller Spaintronic (2023) (FR)

Un superbe album de Berlin School sur d'envoutantes structures de rythmes évolutives

CD1 67:55

1 Spaintronic I 15:09

2 Spaintronic II 26:20

3 Spaintronic III 5:48

4 Spaintronic IV 20:35

CD2 47:53

5 Spaintronic V 27:19

6 Spaintronic VI 3:52

7 Spaintronic Bonus 16:42

(2CD Digipack/DDL 135:48)

(Berlin School)

J'écrivais dans une récente chronique, celle de l'album Time of Legends de Synth Replicants, que le synthétiseur et la guitare pouvaient faire bon ménage. Maintenant, est-ce qu'un synthésiste peut harmoniser des textures de guitare, acoustique comme électrique, aux harmonies de son synthé/clavier sur les rythmes de son séquenceur? Un homme-orchestre quoi! C'est le défi que s'est imposé Detlef Keller, le fidèle compagnon musicien de Mario Schönwälder depuis Loops & Beats en 1996, avec la réalisation de son 10ième album solo SPAINTRONIC. Un double CD dont le titre fait foi de tout. Des rythmes électroniques qui battent avec une saveur hispanique dans les harmonies. Et ces harmonies proviennent plus souvent qu'autrement de textures de guitare, créées à même les synthés, sur de longues structures minimalistes qui évoluent pour atteindre différents degrés rythmiques. Des rythmes ambiants qui transitent vers du Berlin School et du rock électronique pour même flirter avec les genres EDM et Électronica. Et non, il n'y a pas juste des textures de guitare, puisque Detlef fait chatoyer des ruisselets d'arpèges, de superbes mélodies séquencées et de nombreux solos de synthé qui sont les témoins de son immense dextérité. J'ai eu de beaux flash en écoutant cet album qui flirte avec les univers de Klaus Schulze, évidement, de Ashra et Manuel Göttsching et finalement de Spyra avec son étonnante collaboration avec le guitariste Chris Lang lors d'un concert au Toskana-Therme en 2001. Habile comme toujours dans l'art de faire évoluer harmonieusement ses longs fleuves de musique minimaliste, Detlef Keller subjugue littéralement les sens avec une musique électronique (MÉ) qui oscille entre les harmonies grégaires des œuvres de la série Repelen, comme celles du célèbre trio Keller, Schönwälder et Broekhuis. SPAINTRONIC est un superbe album à la hauteur du très beau Harmonic Steps et de M.O.B.S. Deux albums dont les antipodes démontrent clairement tout le talent de mélodiste et de maître de la Berlin School de Detlef Keller.

Des accords d'une six-cordes acoustiques projettent une vision d'un lent flamenco en ouverture de Spaintronic I. La guitare multiplie ses accords qui tintent et résonnent sur une nappe de brume légèrement bourdonnante. Des nappes de voix ajoutent une touche séraphique à cette ouverture dont un léger mouvement circulaire du séquenceur initie le rythme ambiant vers la seconde minute. Doucement saccadé, le rythme tournoie avec une tonalité des vieux thèmes nostalgiques du lyrisme Français. Une autre série d'accords fait tournoyer cette ossature de rythme dont la principale cadence s'appuie sur deux accords répétitifs. Spaintronic I évolue comme un roman musical minimaliste, même si la première ligne de séquences est remplacée par une autre dont la série d'accords répétitifs complète un peu mieux le mélodieux axe rotatif. On est dans du Berlin School ambiant et hypnotique avec un mouvement flottant onirique. Les solos de guitare qui viennent sont poignants, sont criants de sensibilité. Le synthé multiplie les accords de guitare tout en jetant ici et là des arpèges dont la texture mélancolique fait contraste avec la luminosité des notes de guitare pincées avec doigté, même si ils sont pianotés. L'univers magique des synthés! Nous pensons qu'il y a un guitariste Flamingo ici. Detlef Keller étale sa poésie musicale avec une vision de romance cinématographique, même si des effets électroniques simulent un langage cybernétique vers la 9ième minute, et où des ombres de basse jettent une aura plus dramatique et que les nappes de voix sont toujours d'une efficacité angélique. Spaintronic II suit avec une séquence de rythme qui zigzague autant qu'ondoie avec une fine texture de strobes dans ses saccades. Le séquenceur fait onduler deux timbres en une symbiose autant rythmique que mélodique. C'est un rythme électronique de ce qui a de plus pur où s'évadent et s'harmonisent des accords d'une fausse guitare acoustique, qui possède toujours cette essence latine, et d'un clavier dont les duels sont aussi inspirants que dans Spaintronic I. Le rythme est juste un peu plus rapide. Le mouvement évolue avec finesse autour de la 4ième minute, traçant des cercles ondulatoires dans débit toujours plus rapide. Des cliquetis de cymbales se font entendre, stimulant un simulacre de vélocité qui évoluera tout au long de ce segment dans Spaintronic II. On pense à Klaus Schulze ici et aussi à Achtundsechzig 24 (Live@Toskana-Therme) de Spyra et Chris Lang! La guitare est toujours aussi réelle et joue des airs de romances mélancoliques qui trouvent leur juste milieu avec cette tonalité très pincée que Keller ajuste sur son synthé. Le rythme suit toujours son escalade cadencée pour embrasser une approche axée sur l'Électronica autour de la 9ième minute. Le mouvement ondulatoire est devenu une nappe ondoyante, et le rythme s'appuie sur les cymbales et les discrets boom-boom des percussions. Detlef sculpte une très belle mélodie cadencée quelques minutes plus loin que des chœurs cyclopéens avalent. Elle reviendra amputée de quelques accords. Le musicien continue d'alimenter et d'enjoliver sa structure minimaliste en ajoutant différents effets électroniques alors que la cadence continue d'accélérer le pas. Épuisé, le mouvement entre dans une phase plus atmosphérique autour de la 20ième minute avant de renaître dans une véritable forme de EDM.

Ces 2 premiers titres de SPAINTRONIC sont très représentatifs de ses autres structures. Le musicien-synthésiste Allemand fait l'étalage de ses connaissances et de sa maitrise des différents synthétiseurs, les vidéos sur YouTube sont assez éloquents à ce niveau, afin de concocter de longues structures minimalistes qui progressent tranquillement et toujours en ajoutant les ingrédients nécessaires pour éviter toutes formes de redondances et de longueurs dans le développement de chacun des longs titres. Les harmonies du clavier et des textures de guitares s'échangent les rôles avec une prépondérance qui est plus accentuée pour l'effet de guitare, tant électrique qu'acoustique. Il arrive souvent que le son de l'un se subtilise à la sonorité de l'autre, gardant nos oreilles sur le qui-vive. Detlef exploite à merveille l'art de la mélodie et le timbre dont elle a besoin pour charmer. Spaintronic III est un court intermède très enjoué qui est axé sur le savoir-faire d'un synthé qui se transforme en guitare acoustique. Spaintronic IV s'enfuit avec une structure de rythme forgée sur deux alliances du séquenceur. Si une ligne sautille et titube comme des gambades de lapins légèrement ivres, j'aime l’effet de caquètement à la Robert Schroeder dans le timbre des séquences, l'autre accorde une approche ascensionnelle très accentuée. On entend une série de 4 accords qui montent en alternance, avec une modulation dans le timbre et le mouvement. C'est aussi séduisant que magnétisant! L'approche de Keller est plus électronique sur ce titre plutôt entrainant qui transite du Berlin School à du solide rock électronique qui est nimbé de bons solos de synthé, de même que de belles harmonies du mellotron. La texture de guitare fait une apparition autour de la 13ième minute, libérant une mélodie romancée, alors que le rythme perd peu à peu de sa vigueur afin d'amener Spaintronic IV vers un pont d'ambiances méditatives. Un moment propice pour faire chanter le mellotron!

Après un début à la Yanni, Nostalgia et Santorini de l'album Keys to Imagination, Spaintronic V fait sautiller son rythme délicat entre de lourdes nappes de brumes orchestrales et de tendres accords d'une guitare qui sonne comme un clavier. Le synthé lance des solos pleureurs sur une nappe de basse qui bourdonne d'émotion. Ces solos, la guitare et les arrangements me font penser à la période Arista et EastWest de Vangelis. Un rythme sautillant s'extirpe de cette phase autour de la 6ième minute. Le style est très progressif électronique avec des solos de synthé aussi acuité qu'un fil de rasoir qui se tord de douleurs. Cette première phase de Spaintronic V embrasse un passage méditatif assez poignant autour de la 10ième minute. Un premier changement de peau sonore et musical s'installe. Le rythme devient plus cristallin et surtout plus entrainant. Il est marqué par le pas de 2 séquences où s'enchaine un ruisselant chapelet d'arpèges. Le synthé à une texture légèrement nasal, mélangeant ses arpèges tintant à des pads orchestraux qui tombent de façon saccadée et à de discrètes texture d'une guitare onirique. Nous sommes autour de la 15ième minute et Spaintronic V procure des frissons par centaines avec un très beau crescendo d'émotion qui se greffe peu à peu à l'évolution rythmique. Autre petit moment de tendresse méditative et le titre s'envole vers une délicieuse phase d'Électronica autour de la 19ième minute. Nous sommes dans les territoires de Ashra avec un rythme krautrock, une guitare à la Göttsching qui suit le beat et un synthé qui lance des solos très aériens. Spaintronic VI est un court titre mélodieux où le synthé mélange les tonalités de clavier et de guitare sur le pas d'un rythme bredouillé par un gros tuba baryton. La pluie d'orchestrations et les clairons apportent une vision très Vangelis au titre. Proposé comme un titre en bonus, Spaintronic VII est sans doute le titre le plus électronique de ce double CD de Detlef Keller. La structure propose un rythme ambiant très Berliner qui me fait penser à du vieux Baffo Banfi, pour les claquettes percussives qui y caquètent. Les orchestrations et les arrangements de brume sont intensément enveloppant et le rythme avance par délicats à-coups dans cette délicieuse texture percussive, jouant sur de subtiles modulations qui vont de pair avec l'intensité des arrangements. Un très bon titre où je n'arrive tout simplement pas à croire que Detlef Keller avait encore d'autres idées après les 4 gigantesques premières parties de ce très bon SPAINTRONIC.

Beaucoup de textes, mais il y a aussi beaucoup de vidéos sur YouTube, voir les liens sur la page Bandcamp du CD, qui expliquent beaucoup mieux la musique que mes écrits. Je vous recommande fortement de voir Detlef Keller à l'œuvre sur ces vidéos, comme je vous conseille ce double CD qui a les mêmes dimensions magnétisantes des plus belles œuvres de Klaus Schulze lorsque le maitre Allemand avait le goût d'exploiter des filons plus harmonieux.

Sylvain Lupari (17/11/23) ****½*

Disponible au Manikin Bandcamp

(NB: Les textes en bleu sont des liens sur lesquels vous pouvez cliquer)

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