“C'est un album très émouvant qui fait un lien énorme avec les œuvres de Schulze”
1 If I Could Speak to my Father Again 13:30
2 Polymodular 10:00
3 Zyma (Winter) 7:44
4 Temnyy (Dark) 11:57
5 Vesna (Spring) 10:08
6 Svetly (Light) 15:24
7 Mundus in Motu 5:36
(CD/DDL 74:21)
(Berlin School)
L'écho des tintements d'arpèges sèment un dense voile de mélancolie en ouverture de If I Could Speak to my Father Again. Les nappes de synthé qui valsent sans acolytes flottent dans une faune musicale en éveil. Certaines ont un timbre dramatique et d'autres ont cette impression de déchirure à l'âme dans un étonnant mélange des diversités orchestrales du synthé, notamment avec ce parfum tonal de hautbois qui verse ses larmes dans nos oreilles. Soufflé dans l'intensité, cette ouverture teintée nostalgie se dirige tôt vers un premier basculement rythmique avec un filet de séquences qui se détache de cette brume violonnée devenue vague des murmures, j'entends du Klaus Schulze ici, lorsque le titre qui ouvre MUNDUS IN MOTU se dirige vers sa 4ième minute. Le séquenceur libère une suite d'arpèges qui se suivent en se bousculant légèrement sur les pulsations d'une ligne de basse-séquences. Sautillant sur cette nappe où la tonalité d'un orgue se fond à celle d'un hautbois, ces petites billes rythmiques dansottent sous de bons solos de synthétiseur alors que la ligne de basse amplifie la lourdeur du rythme sans en nourrir la vélocité. Ce sont plutôt des effets percussifs qui font accélérer le mouvement du séquenceur et de ses arpèges qui se sautent littéralement dessus, structurant ces mouvements d'un convoyeur déréglé qui font faire du rodéo spasmodique à un rythme stationnaire. If I Could Speak to my Father Again se développe ainsi en un bon rock électronique plus ou moins animé qui est structuré sur l'effet d'écho des lignes de séquences qui vont et viennent dans un environnement de brume cosmique. L'effet se multiplie en une forme de canon rythmique. Enregistré en direct dans une centrale électrique fermée en raison des règles sur le CO2, If I Could Speak to my Father Again donne le coup d'envoi à un album que Hans van Kroonenburgdédie aux gens qui ont perdu maison et patrie lors des derniers chamboulements planétaires. Comme lui, plusieurs ont perdu leur emploi devant ainsi réorienter leur vie. D'où le titre MUNDUS IN MOTU (Monde en mouvement)! Beaucoup comme Gert Emmens, Skoulaman fait parti de ces musiciens dont la signature musicale se reconnaît aisément. Depuis Dreaming of the Future Reflecting the Past en 2014 que le musicien-synthésiste Hollandais fait une musique électronique harmonieuse construite sur la base du minimaliste. Une très belle production de Groove nl, MUNDUS IN MOTU n'échappe pas à cette règle en proposant 7 titres, sur une distance de 75 minutes, avec ces arpèges fragiles qui sautillent sur le bout de leurs notes comme la grâce de ces pas de Bambi sur des étangs surgelés. Fidèle à sa signature musicale, il utilise son séquenceur pour tracer de belles routes de mélodies rythmiques avec des déplacements fragiles au niveau de la tonalité de ses arpèges qui miroitent d'une sensibilité à émouvoir un gros roc. Pour cet album, masterisé par Ron Boots, le musicien utilise un synthétiseur modulaire qu'il s'est procuré récemment, approfondissant ainsi sa dimension rythmique avec de belles structures construites de façon à se répercuter en savoureux canons rythmiques.
Polymodular suit avec un mouvement ascendant du séquenceur qui serpente une toile sonore à dimension cosmique. Le rythme ondulant assez vivement avec un léger effet de secousses est magnétisant. Il se remplit de séduisants éléments percussifs, un nouveau truc chez Skoulaman, et de filaments torsadés qui se perdent dans des nappes de synthé aux dimensions chtoniennes. J'ai trouvé des saveurs de Tangerine Dream dans ce titre qui accélère la cadence avec un délicieux effet d'écho, simulant des effets de gambade élastique dans les élans du séquenceur. Ça donne un très bon Berlin School avec un effet d'écho du rythme qui se traduit en diverses tonalités électroniques près d'un langage numérique. Zyma (Winter) propose un rythme ambiant ondulatoire dans une faune sonore animée par le chant nasillard et acuité d'une ligne de synthé irradiant l'agressivité du bleu acier. Ça fait très Klaus Schulze vintage. Les soupirs du synthé, versés sur des ombres qui vont devenir de plus en plus bourdonnantes, ornant l'ouverture de Temnyy (Dark) lui donnent une autre dimension de nostalgie que le piano amplifie avec ses notes d'une fragile mélancolie. Cette douceur un peu noire ajoute une nouvelle dimension à la musique de Skoulaman sur cet album. Le rythme émerge de cette noirceur romanesque une 30taine de secondes après la 4ième minute, guidant le titre vers une autre structure construite sur l'effet de réverbérations et d'écho du rythme comme dans le titre d'ouverture. Son enveloppe, comme sa vélocité est plus intense au niveau des boucles harmonieuses d'un synthé et de ses solos aussi torsadés que ceux d'un guitariste sur le high.
L'ouverture, aussi éthérée que cinématographique, de Vesna (Spring) est très concept au titre! Le printemps ne peut pas être aussi bien défendu en musique que sur cette introduction qui débloque sur une vision rythmique spasmodique du séquenceur. Les cabrioles épousent des saccades dont les grands bonds se font récupérer par une délicieuse ligne de basse-séquences, l'ensemble fait encore une fois très Klaus Schulze, dans un autre très bon Berlin School inondé de cette brume gothique des années 70. J'aime l'effet de strobes circulaires qui ajoute une belle profondeur au rythme. Hans van Kroonenburg tisse de beaux solos de synthé pleureurs dont les arpèges du séquenceur tombent avec aplomb et éclat. Tissé dans le même moule, solos en plus, que Vesna (Spring), Svetly (Light) offre une structure plus en mode ballade électronique avec un long mouvement circulaire qui est traversé par de nombreux solos de synthé aux contours parfois érodés par une vision psychédélique. Le mellotron dégage de belles nappes de brume sur ce titre qui me rappelle vaguement les essences de Edgar Froese dans Stuntman et Pinnacles, dans son évolution rythmique. Tant dans l'oblong zigzague que le contrepoids de la ligne de basse-séquences que des effets vocaux du mellotron. Encore ici, les solos de synthé sont très beaux et inspirants. Titre le plus court, la pièce-titre est aussi la plus dynamique de cet album avec un déroulement plus accéléré du séquenceur. Du bon rock électronique en mode Berliner!
MUNDUS IN MOTU est un autre très gros album de la part de Skoulaman. Bien que les séquences de rythme se chevauchent avec des schémas presque identiques, les nuances et la vitesse des strobes ajoutées donnent une dimension unique à chaque titre. J'ai trouvé que l'album fait un énorme lien avec les œuvres de Klaus Schulze, période 76-78, un peu comme dans son album Deepminds en 2020. Une pure coïncidence qui mérite d'être souligné pour les amateurs du musicien récemment décédé. Bref, un très bel album de Groove nl avec une dimension musicale encore plus belle en dehors d'un casque d'écoute et qui ne peut déplaire aux aficionados du Berlin School et à ceux à qui le regretté Klaus Schulze manque déjà.
Sylvain Lupari (15/05/22) ****¾*
Disponible chez Groove nl
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