“Les 40 premières minutes de cet album sont très bonnes et la pièce-titre est superbe”
1 Behind The Mental Wall 12:20
2 Earthtime 10:18
3 The Eye of the Chameleon 18:42
4 The Voyage Set II (…. to the Earth Pt. 1) 20:30
5 The Voyage Set II (…. to the Earth Pt. 2) 9:01
(CD 71:26)
(Berlin School)
2006! Une des années les plus difficiles de ma vie. Je vous épargne les détails. Je venais de joindre le webzine de France, Guts of Darkness, et j'écrivais des chroniques sur la musique électronique depuis 2002 ou 2003. J'avais peu d'expérience et je pensais connaître tous les secrets de l'univers de la MÉ parce que je possédais une impressionnante collection des albums de Tangerine Dream, Klaus Schulze, Vangelis, Jean-Michel Jarre et tous ces noms qui ont construit les assises de ce merveilleux univers de sons et de musique. Avec le recul…je ne connaissais pas grand-chose! C'était l'époque où je prenais aussi une quantité industriel d'anti-douleurs, et où chaque fois que je relisais une chronique que j'avais écrit la veille, je ne comprenais juste pas ce que je venais d'écrire. Heureusement, ça beaucoup changé. Ce prélude pour mentionner que j'ai déjà écrit une chronique sur THE EYE OF THE CHAMELEON en aout 2006. Eh boy…du texte à l'époque pour ne rien dire. Ou presque! Je profite donc de cette réédition du premier album du très sympathique Mario Schönwälder pour rendre justice à cet album qui est plus qu'une pâle imitation de Klaus Schulze, l'ultime inspiration de celui qui allait fondé Manikin 3 ans plus loin. Une chose reste véridique de l'époque de cette 1ière chronique; c'était, et c'est encore, un excellent album.
L'étiquette Made in Germany (MIG) se spécialise dans la réédition de ce que ses dirigeants considèrent comme des classiques, ou des essentiels, dans les univers de la MÉ, du Krautrock, du rock psychédélique et autres genres totalement avant-gardistes des pionniers de ces genres. J'ai déjà chroniqué une récente parution de ce label, l'album The Harvest Years de Neuronium, et j'avais été impressionné par la qualité du remaster et la pureté du son pour une musique issue du milieu des années 70. THE EYE OF THE CHAMELEON est un album qui fut réalisé pour la 1ière fois en 1989, nous sommes au cœur de la période numérique de Klaus Schulze, sur le nouveau label de Bernd Kistenmacher, Musique Intemporelle, en CD et en vinyle. L'album fut aussi réalisé en format K7 avec un titre de 3 minutes en prime, Gina. Mario rééditait par la suite son premier album sur Manikin Records en 1992. Et finalement, le label Allemand SynGate rééditait THE EYE OF THE CHAMELEON avec un nouveau remaster et un titre en supplémentaire, Abstract Roof, en 2005 et 2008. C'est cet album, l'édition 2005, que j'avais chroniqué pour le site Guts of Darkness en 2006. Est-ce que THE EYE OF THE CHAMELEON est un classique? Un essentiel ou même un incontournable? Je dirais que c'est un essentiel dans l'échiquier de la MÉ parce qu'il sort Mario de l'anonymat et que ce dernier allait devenir un personnage très important dans le merveilleux monde de la MÉ.
Behind the Mental Wall démarre cette aventure musicale avec un mouvement du séquenceur qui n'est pas sans rappeler celui de P.T.O. de Klaus Schulze, à l'époque de Body Love. Le mouvement est très entraînant avec ses 5 accords cadencés qui sautillent et se succèdent dans un débit légèrement plus vivant. Des échantillonnages de percussions manuelles, genres tablas, soutiennent cette structure ascensionnelle répétitive, alors que le clavier dépose une mélodie cadencée qui va et vient, qui roule en boucles et qui danse en symbiose avec le rythme du séquenceur. Ça fait effectivement très Schulze des années 80 par contre. Le synthé est généreux de ses nappes de voix chtoniennes, mais aussi de ses solos qui virevoltent et dessinent des arabesques musicaux aux mélodies envoûtantes. Ici comme ailleurs dans l'univers de Mario, l'approche est très minimaliste et hypnotise les sens. Schönwälder déjoue les pièges de la redondance par les solos de synthé qu'il lance au tout hasard sur l'évolution de ce premier titre de THE EYE OF THE CHAMELEON. Earthtime suit avec le léger parfum asiatique de sa mélodie envahissante qui me fait penser à la pièce All Night Long de Peter Murphy. C'est juste plus lent. À la fois délicat et pourtant solidement frappé par une séquence répétitive lourde et résonnante, comme une bande élastique molle, son rythme tressaille de lourdeur. Les effets percussifs organiques qui cliquètent dans son ombre sont des éléments de séduction qui sont mieux isolés ici, prenant ainsi toute leur profondeur. Une mélodie, finement martelée par une illusion de corde cadencée, rayonne avec ce parfum oriental alors que le synthé lance des ululements spectraux et manigance quelques solos très mélodieux avec une tonalité des flûtes de charmeurs de serpents. L'ensemble donne l'impression d'entendre un sortilège du vieux Moyen-Orient qui ressemble énormément aux longs voyages de la MÉ analogue des années 70. C'est un très bon titre où l'ajout des percussions, dans son dernier tiers, lui donne ce second souffle qui déjoue l'impression de répétitivité qui est pourtant le charme hypnotique de Earthtime. La musique minimaliste c'est l'art de l'enchantement, si on sait bien comment la faire évoluer. Et Mario Schönwälder le sait!
La très longue pièce-titre le démontre amplement dans une version quasiment revisitée du sublime Crystal Lake de Klaus Schulze. Son ouverture est de soie avec des tonalités contrastantes du synthé qui s'affrontent dans une belle poésie musicale. C'est tendre et à la limite du romantisme. Le synthé siffle de beaux airs ambiants sur une onde plus chaleureuse où se faufilent par moments des ondes qui grésillent, qui ronronnent. Il y a aussi ces clochettes méditatives qui tintent ici et là, avant de conduire la première ligne du mouvement minimaliste et hypnotique de The Eye of the Chameleon. Les tintements sont aussi chatoyants que mélodieux. Une ombre de basse joue du cha-cha-cha très souple dans l'arrière-fond de ce rythme plus mélodieux qu'entraînant, alors que le synthé fait rugir des effets qui semblent froisser l'air comme des feuilles de métal se tordant de douleur. Une symbiose s'organise autour de ce rythme ambiant qui n'a de Crystal Lake qu'un vague souvenir que les années confondent. Des percussions, assez discrètes, articulent un rythme sans rythme, toujours dans l'arrière-scène de cette ritournelle cadencée et dont les subtiles modulations sont ses charmes irrémédiables. Le synthé articule quelques solos, sans que ce soit de véritables solos. Ainsi, chaque élément qui s'additionne l'est en fonction de ne pas nuire à la brillance de cette étincelante mélodie rythmique qui visse un solide ver-d'oreille. On s'en rappellera bien des heures plus tard. Excellent, de la première à la dernière seconde! Ces 3 premiers titres, qui flirtent avec les 40 minutes, expliquent le pourquoi ce premier album de Schönwälder est un essentiel! The Voyage Set Two (... to the Earth) est divisé en 2 parties sur cette réédition de MIG, séparant ainsi plus nettement la portion animée de la portion ambiante de ce long titre performé au planétarium de Berlin en janvier 1989. The Voyage Set II (…. to the Earth Pt. 1) propose une structure de rythme sise sur des pulsations qui sautillent en forme de zigzag avec un effet de résonnance organique qui l'entoure. Le synthé dessine des panoramas pour le moins intrigants avec des ondes de ronflements et des gémissements bleuâtres, auxquelles se greffent des nappes de voix chtoniennes. Ça donne une texture spectrale, voire ectoplasmique, aux ambiances du titre dont le rythme évolue avec plus de vitesse dès le second banc de ces ambiances passées, soit autour de la 5ième minute. La mélodie qui s’invite par la suite respire un peu celle de Earthtime, moins l'aspect oriental. Mario fige des morceaux de solos de synthé qui sont de nature assez discrète sur la lente évolution de The Voyage Set II (…. to the Earth Pt. 1) et dont la seconde partie, The Voyage Set II (…. to the Earth Pt. 2) explore plus une approche de style Dark Ambient qui devait être assez innovatrice pour l'époque.
Je n'ai jamais eu cette chance d'entendre la version originale, celle de Musique Intemporelle, de ce THE EYE OF THE CHAMELEON. Donc, il m’est très difficile de juger la valeur de ce nouveau remaster. Par contre, j'ai trouvé que le son est mieux détaillé, que chaque élément est mieux défini dans cette version que celle de SynGate. Mais le plus important, est que j'ai redécouvert cet album que j'ai sans doute écouter avec insouciance en 2006. C'est vrai que l'influence de Klaus Schulze, de Timewind à Mirage, est palpable dans tous les recoins de cette œuvre de Mario Schönwälder. Mais de là à dire qu'il y a un manque d'originalité, comme j'ai lu quelque part sur le web, c'est faire preuve de paresse dans l'art d'écouter et de critiquer un album. Les 40 premières minutes de cet album sont très bonnes et la pièce-titre est simplement superbe! Donc, si vous ne possédez-pas cet album, le label Made in Germany vous en donne l'opportunité.
Sylvain Lupari (24/09/23) *****
Disponible chez MIG Music
(NB : Les mots en bleu sont des liens sur lesquels vous pouvez cliquer)
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