“Après la parution de Stratosfear, Tangerine Dream allait entreprendre une tournée Nord Américaine qui restera gravé dans bien des mémoires”
1 Stratosfear (10:04)
2 Big Sleep In Search Of Hades (4:45)
3 3am At The Border Of The Marsh From Okefenokee (8:10)
4 Invisible Limits (11:40)
Virgin CDV 2068
(CD 34:39)
(Berlin School)
Je ne vous parlerai pas d'histoires de tension interne. Ni de la trop grande place qu'Edgar Froese aurait prise. Ni de l'ingéniosité de Franke qui réussit à rouler des percussions électroniques et à soutires des mines de rythmes du séquenceur admirablement bien conçues par Peter Baumann et encore moins de la dextérité et du génie de ce dernier derrière le mellotron. Non! Je vais vous parlez de musique. Je vais vous parlez de STRATOSFEAR. Un classique de la MÉ des années 70. Un album qui a tracé une voie plus mélodieuse à la MÉ de style Berlin School. Pour les amateurs de musique expérimentale, STRATOSFEAR marquait la fin de l'époque des expériences sonores du Dream. Chris Franke avait enraciné sa place avec le géant MOOG. C'était le début des années d'or de la MÉ, à tout le moins chez moi, en Amérique du Nord.
Les accords errant d'une douce guitare acoustique rencontrent les brumes d'un sombre mellotron. Après une brève introduction de vapeur iodée, le séquenceur dépose une ligne basse et ronde dont les accords roulent comme des percussions et ondulent en un rythme mordant sur des accords de clavier qui se fondent dans un synthé mélodieux et symphonique. La cadence s’amplifie avec des séquences subdivisées qui moulent des percussions finement fébriles, guidant Stratosfear vers un superbe passage mélodieux avec son synthé fantomatique. Un remarquable passage où l’on sent l’approche dramatique et méphistophélique de Stratosfear qui atteint son apothéose mélodieuse avec de stridents souffles de synthé spectraux. Avec son rythme échevelé sur des séquences aux accords subdivisés et ses percussions aléatoires, Stratosfear navigue en eaux troubles embrassant de brefs passages atmosphériques mais gardant toujours le cap sur une rythmique minimaliste aux fines modulations. Le tout est admirablement coiffé par la juteuse guitare d’Edgar Froese. Et le reste est de l’histoire. STRATOSFEAR, ainsi que son titre éponyme, marqueront la destinée de Tangerine Dream, autant que Stairway to Heaven a marqué celle de Led Zeppelin. Alors que la musique électronique, ou plutôt le space rock, des années 70 se bourrent de lourds synthés analogues (mouvements tout de même soutenu par Phaedra et Rubycon) ainsi que de longues lignes flottantes et hypnotiques, Tangerine Dream offre un album plus mélodieux. Un album qui suit les traces de Phaedra et qui allie aussi une musique électronique expérimentale aux fusions d’un rock progressif aux essences d’un folk brumeux. Big Sleep In Search Of Hades et 3am At The Border Of The Marsh From Okefenokee en sont des exemples parfaits.
De délicats accords de guitare acoustique défilent sur une tendre ligne de basse et un mellotron onirique qui souffle de belles lignes flûtées. Ce bel intro rêveuse sombre vers une approche plus lugubre avec des strates d’un synthé ostensiblement pervers et intriguant sur fond d’effets sonores hétéroclites. Le mellotron et la guitare reprennent le souffle mélodieux du début et retournent Big Sleep In Search Of Hades au pays des rêves. Un superbe moment. 3 AM at The Border Of The Marsh From Okefenokee démarre sur une note sombre qui tombe avec amertume sur un fond d’harmonica. L’ambiance est angoissante et représente aisément l’atmosphère d’un quelconque sombre marais. Un titre qui a dû inspirer Sorcerer avec sa ligne basse et intrigante. Le mellotron y est suave et Peter Baumann laisse ses dernières empreintes sonores avec une dextérité qui sera difficilement remplaçable sur les prochains opus de TD. Encore là, les roulements séquentiels sont sublimes et épousent à la perfection une ambiance décousue où la flûte mellotronnée de Baumann sauve les passages tordus. Du grand TD qui démontre qu’un bout d’idée peut prendre plusieurs formes. Invisible Limits termine ce classique de la MÉ des années 70 de superbe façon. Une fine ligne de basse poursuit l’intrigante atmosphère de la pièce précédente avec des faibles accords de guitare. Un doux synthé couvre l’air avec le mellotron éthéré de Baumann pendant qu’Edgar agite sa six-cordes avec sensualité. Ce doux intro bifurque vers un mouvement plus animé où la guitare électrique sort des brumes mystiques, se fondant dans une superbe fusion guitare électrique et strates de mellotron qui flottent sur un séquenceur devenu de plus en plus endiablé. Le tempo court et zigzague accompagné d’un étrange synthé où Froese asperge ses cordes d’une huile magique car elles fondent avec étonnement dans un mélange électro/acoustique et une féerie d’effets sonores. Invisible Limits s’éteint sur un beau passage nocturne où le grand piano se forge une route parmi les débris galactiques et transfère ses harmonies à une superbe flûte, dont le souffle tourmente nos oreilles, bien des secondes après sa dernière exhalaison. Après la parution de STRATOSFEAR, Tangerine Dream allait entreprendre une tournée Nord Américaine qui, quelques trois décennies plus tard, restera gravé dans bien des mémoires. Une tournée captée sur un sublime album double, Encore.
Sylvain Lupari (19/07/06) *****
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